Communication, uniformisation

On ne peut pas rester indifférent au fait que le monolinguisme anglophone  s’impose – de manière irréversible, peut-être – dans certaines sphères d’activités aussi cruciales pour l’avenir de l’humanité que la science, l’économie, la diplomatie. N’est-il pas inquiétant en effet que la majorité des personnes dans le monde qui contribuent au soi-disant progrès dans ces domaines le préparent, le conçoivent, le négocient  dans une langue qui n’est pas la leur, qui n’est pas enracinée dans leur culture ni dans leur vécu, qu’ils ne maîtrisent généralement que de manière superficielle et rudimentaire. Avec au maximum 1500 mots et quelques structures syntaxiques, le globisch permettrait de communiquer dans toutes les circonstances et à propos de tous les sujets, de la physique quantique aux droits de l’homme, en passant par les exportations céréalières… même s’il arrive que les traducteurs soient incapables de traduire le lendemain dans les langues nationales respectives les textes en anglais confus et ambigus sur lesquels les décideurs des différents pays se sont mis d’accord la veille.

Pour ne parler que du domaine de l’enseignement et de la recherche, il faut sans cesse attirer l’attention  sur les  enjeux idéologiques, culturels, humains de la standardisation linguistique (et organisationnelle) qui s’étend et s’intensifie inexorablement au nom des échanges internationaux.  En  uniformisant  la communication universitaire, on uniformise et on oriente les méthodes, les approches, le regard que les scientifiques, les professeurs et leurs étudiants portent sur le monde ; on uniformise et on oriente l’évolution du monde par la même occasion. Il y a effectivement de sérieux risques qu’à long terme, une langue et un système uniques entraînent un discours unique, qu’un discours unique entraine une pensée unique, qu’elle soit scientifique, politique ou  culturelle.  Il  est  donc  urgent  –  vu  la  rapidité  avec  laquelle  s’internationalisent  les universités,   leurs   programmes   d’études,   leurs   projets   scientifiques,   leurs   systèmes d’évaluation – que l’on trouve un équilibre entre, d’une part, les besoins  indiscutables  de  communications,  de  collaborations,  d’échanges  entre les  pays, les   institutions,   les   disciplines,   et,   d’autre   part,   la   sauvegarde,   si   possible   le développement, des spécificités disciplinaires, culturelles, institutionnelles, mais aussi de la liberté, de la flexibilité, de la créativité sans lesquelles la recherche et l’enseignement ne sont pas viables.

Décidément, quand comprendra-t-on, à commencer les scientifiques et les politiques dont le métier est de préparer l’avenir, que la diversité, principalement linguistique, qui est au confluent de toutes les autres, ne représente pas un handicap pour le progrès humain – nous ne parlons pas ici des développements économiques ou des innovations technologiques dont on connaît assez les effets pervers – mais qu’elle le favorise, ou même que la diversité est la condition de notre survie, de la même manière qu’elle a été à l’origine de l’homme et qu’elle a permis son évolution, son perfectionnement, son épanouissement ?