Parcours

Jean-Marc DEFAYS

1. Élève

Après mes parents, tous deux enseignants, c’est sans aucun doute M. Poncelet, pendant quatre ans mon redoutable instituteur à l’école primaire d’Ougrée, qui m’a le premier inculqué, autant par ses leçons que par son exemple, la curiosité intellectuelle, le goût des études, la rigueur dans le travail, sans que je ne m’en sois alors rendu compte. Lors de la première partie de mes études secondaires (à l’Ecole Moyenne, toujours à Ougrée), je me suis autant amusé aux cours de menuiserie et de ferronnerie qu’à ceux de latin ou de biologie. Les choses sérieuses n’ont finalement commencé qu’à mon arrivée à l’Athénée Royal de Liège, la grande ville !, où j’ai failli devoir recommencer ma première année tellement mes notes étaient médiocres. Je n’avais encore aucune idée de ce qu’étudier voulait vraiment dire. Parmi mes professeurs de cet athénée (réservé aux garçons, le lycée l’étant aux filles), je retiendrai surtout le vénérable M. Vandervelden (« Vander »), aussi éminent que farfelu, donc passionnant pour la poignée d’élèves de la section gréco-latine qui passaient avec lui une douzaine d’heures par semaine. Chaque lundi, il avait l’habitude de nous donner à traduire ses commentaires des matches de football ou des courses cyclistes du week-end que, cigarette aux lèvres, il écrivait directement en grec au tableau noir. À la fin de mes Humanités (1976), j’ai été surpris d’obtenir la bourse de l’American Field Service pour laquelle j’avais concouru à tout hasard dans l’espoir de passer une année aux Etats-Unis. Si je n’ai en fait pas appris grand-chose sur les bancs de l’Elk Grove High School, en Californie (nettement plus, par contre, en compagnie de l’extravagante famille de fermiers avec qui j’ai vécu cette année !), c’est surtout lors de cette expérience que j’ai pris goût aux relations internationales et aux échanges interculturels. A mon retour (1977), je choisis de m’inscrire en philologie romane à l’Université de Liège après avoir un peu hésité avec le journalisme. Là encore, démarrage difficile en première année, réussie de justesse, pendant laquelle je me suis montré aussi dilettante que passionné. Je resterai passionné les années qui suivront, mais deviendrai un peu plus studieux tout de même. J’ai la chance de compter parmi mes professeurs des personnalités comme Jacques Dubois, Jean-Marie Klinkenberg, Gilbert de Landsheere,… qui vont jouer un rôle significatif dans ma formation intellectuelle et puis dans ma carrière professionnelle.

2. Enseignant

Comme il n’était pas facile de trouver un emploi dans l’enseignement quand j’ai terminé mes études (1981), j’ai commencé par travailler à Bruxelles dans l’organisme international grâce auquel j’avais pu passer une année d’études aux Etats-Unis, l’AFS, notamment pour préparer les boursiers belges à vivre à l’étranger et organiser le séjour des étudiants étrangers en Belgique. On me propose aussi un petit intérim de quelques mois comme professeur de français et d’histoire dans un athénée verviétois où je connais les problèmes habituels des enseignants débutants, mais où j’apprécie aussi la solidarité des collègues et le soutien d’un bon directeur. Mais c’est l’année suivante, au Maroc, où je vais enseigner deux années (1982-1984) dans le cadre de la coopération au développement, en lieu et place de mon service militaire, que j’apprends réellement mon métier et qu’il commence vraiment à me passionner. A Nador, à l’époque misérable village du Rif, j’ai enseigné le français à des classes surpeuplées, de tous les niveaux, de toutes les sections, dans des conditions aussi pittoresques que difficiles, mais surtout à des élèves qui réagissaient spontanément, rapidement, explicitement à mes méthodes approximatives, tant pour marquer leur ennui que leur intérêt. J’ai ainsi vite compris ce qui pouvait provoquer l’un ou l’autre, et ainsi appris petit à petit à enseigner à bon escient. Sans parler de la fabuleuse expérience culturelle et humaine vécue dans cette région contrastée, j’ai l’impression que mon avenir d’enseignant, et plus particulièrement de professeur de français langue étrangère et seconde, s’est dessiné au cours de ces deux années.

Soucieux de découvrir d’autres horizons géographiques et professionnels, je pose ensuite ma candidature – une nouvelle fois « à tout hasard » – à un poste de lecteur de français à l’Université de Jyväskylä, ville finlandaise que je n’aurais pas pu situer sur une carte avant de m’y rendre pour y présenter le concours… que je réussis et qui va changer ma vie professionnelle, et privée, inévitablement quand on passe ainsi du Maghreb au Grand Nord. En septembre 1984, je commence donc ma carrière universitaire sous la direction de professeurs aussi compétents que stimulants (dans l’ordre, Juhani Härmä, Ulla Jokinen et Ellen Sakari), qui m’ont toujours soutenu dans mes différents enseignements (langue, civilisation, littérature, sémiotique,…), dans mes recherches scientifiques (jusqu’à ma thèse de doctorat), et dans toutes mes autres activités et initiatives en faveur de la francophonie en Finlande (colloques, expositions, revue, stages en Belgique…). Au cours de ces neuf années à Jyväskylä s’est développé mon intérêt pour l’institution universitaire où j’ai commencé à songer à faire définitivement carrière. En Finlande, j’ai aussi appris ce qu’était la rigueur, la concertation, l’organisation, bref, le professionnalisme. J’ai aussi la possibilité de m’y perfectionner progressivement en didactique du français langue étrangère (ma pratique quotidienne) et en analyse du discours (le sujet de ma thèse) qui vont devenir mes domaines de spécialité.

En 1993, le Recteur de l’Université de Liège de l’époque – Arthur Bodson – me donne l’occasion de rentrer à l’Alma mater, d’abord en tant que chercheur qualifié (au Fond National de la Recherche Scientifique), puis en tant que chargé de cours et directeur d’un nouveau Département de français langue étrangère qu’il me demande de créer à Liège. Je ne résiste pas au plaisir de me lancer dans ce nouveau projet qui s’avérera rapidement très fructueux, même si je dois depuis lors tenter de concilier ces responsabilités administratives avec mes charges d’enseignements et mes projets scientifiques. Je ne cesse pourtant d’enseigner, dans divers domaines de la linguistique et de la didactique, et d’en éprouver beaucoup de bonheur, que ce soit à l’Université de Liège ou dans d’autres universités, en Belgique ou à l’étranger, où j’ai assuré ou assure des charges de cours ou des cycles de conférences. J’ai d’ailleurs décidé de prendre en 2003 une année de congé pour enseigner d’abord un quadrimestre à la Sorbonne Nouvelle, puis un semestre à l’Université de Sassari, en Italie, où je suis invité à titre de professeur invité, expériences aussi instructives l’une que l’autre.

Dans le cadre de ma charge de la didactique du français langue étrangère et seconde, j’ai grand plaisir à préparer avec mon équipe les futurs enseignants, belges et étrangers, en Belgique et à l’étranger, et j’encadre leurs stages de formation que nous concevons en collaboration avec les institutions où ils sont organisés. Nous avons ainsi développé un réseau de partenariats très enrichissants avec des enseignants « du terrain » qui nous aident à mieux comprendre les conditions de travail très variées de leur métier. Il nous revient également d’organiser régulièrement des formations continuées pour des enseignants expérimentés où nous apprenons finalement autant que les participants. Des projets scientifiques nous permettent de jeter des ponts entre l’université et les autres niveaux et institutions scolaires, et de faciliter ainsi le passage des uns aux autres des étudiants.

3. Chercheur

Bien qu’on m’y ait encouragé, je n’avais pas prévu faire de la recherche scientifique après mes études universitaires, trop pressé que j’étais d’entrer dans la vie active. C’est seulement après quelques années d’enseignement à l’Université de Jyväskylä, sans doute pour occuper les longues soirées de l’hiver finlandais, que l’envie m’a pris de renouer avec la réflexion théorique, qui ne m’avait en fait jamais quitté, et de me lancer dans un projet de thèse de doctorat. Le Prof. Jacques Dubois, se souvenant de mon mémoire de maîtrise, a alors attiré mon attention sur les contes et rubriques d’Alphonse Allais dont Umberto Eco venait de souligner l’intérêt sémiotique et littéraire dans son Lector in Fabula. Dès mes premières lectures et analyses, j’ai compris le défi et les enjeux que représentait pour la recherche cette œuvre inclassable, ainsi que le discours comique d’une manière générale qui n’avait encore fait l’objet que de très peu d’études linguistiques. Il faut dire aussi que les sciences humaines s’intéressaient alors beaucoup à la fin du XIXe siècle alors que s’approchait la fin du siècle suivant.

Après ma thèse de doctorat, défendue à Liège en 1989 (avec ma patronne finlandaise, la Prof. E. Sakari dans le jury), je suis encore resté en poste à Jyväskylä quelques années au cours desquelles j’ai développé ces recherches sémiotiques et les ai progressivement élargies vers d’autres discours, ainsi que dans le domaine des études francophones et de la didactique des langues. Jusqu’au jour où ma candidature à un poste de chercheur qualifié au Fond National de la Recherche Scientifique belge a été acceptée (1993) et que j’ai pu ainsi retourner à l’Université de Liège pour me consacrer entièrement à ces projets de recherche sur le discours comique dont on se rendait compte de l’intérêt qu’il représentait pour plusieurs disciplines scientifiques comme pour la culture, l’idéologie, la société en général. Cet intérêt n’a jamais été démenti depuis lors, au contraire.

J’ai malgré tout suspendu ou du moins ralenti ces projets sémiotiques après deux années pour me consacrer principalement à la didactique du français étrangère, à son enseignement comme à sa recherche, compte tenu de la tâche que le Recteur A. Bodson m’a confiée, dès 1995, de développer le français langue étrangère à l’Université de Liège, et pour cela de créer et de diriger un Département de Français à l’Institut Supérieur des Langues Vivantes, département qui n’a cessé de se développer depuis lors. Mes activités scientifiques se sont depuis lors réparties, selon les circonstances et mes goûts qui restent très variés, sur plusieurs axes : par ordre de priorité, la didactique du français et des langues étrangères, l’analyse des discours et la linguistique, et les cultures francophones et l’interculturalité, les politiques linguistiques.

4. Responsable

Les autorités académiques de l’Université de Liège, soucieuses d’ouvrir leur institution vers l’étranger et d’optimaliser l’accueil et la préparation des étudiants, m’ont donc chargé – au moment de la création du nouveau Département de français de l’Institut Supérieur des Langues Vivantes – de mettre sur pied un enseignement de français langue étrangère destiné à la communauté internationale de l’université, mais aussi de proposer aux étudiants francophones des moyens pour évaluer et améliorer leur maîtrise instrumentale de la langue maternelle dans le cadre de leurs études universitaires. Partant de pratiquement de rien, j’ai dû rapidement constituer et animer une équipe d’enseignants (parfois novices en la matière), organiser un programme de cours, de stages et de formations diverses, mettre progressivement au point une pédagogie aussi adaptée, efficace et originale que possible. Même si m’y avait préparé une licence spéciale en gestion publique, le défi n’était pas mince et n’aurait pas pu être relevé sans le concours des enseignants aussi compétents qu’enthousiastes avec lesquels j’ai la chance de travailler dès le départ et dont le nombre n’a cessé de croître depuis lors, au rythme du développement de notre public, de nos activités et de nos projets (internationaux).

L’Institut Supérieur des Langues Vivantes, dont j’assure maintenant la direction générale (depuis 2007), et le Service de didactique et de méthodologie du français langue étrangère (depuis 1999), fonctionnent sur le mode de la concertation et de la collaboration systématiques à partir d’une philosophie générale qui est celle de permettre à chacun de leurs membres, en fonction de ses responsabilités, de ses compétences, de ses aspirations, de rendre les meilleurs services possibles aux étudiants et à l’institution universitaire. J’estime que mon rôle principal dans cette équipe d’enseignants, de chercheurs, d’administratifs, de techniciens, est celui de médiateur : entre ces différents collègues, entre eux et l’institution universitaire, les organismes officiels ou internationaux, le monde de la recherche… Associant étroitement l’enseignement à la recherche, et profitant des préférences et des talents des uns et des autres, j’encourage de mon mieux chacun des membres de l’équipe à se spécialiser dans un domaine spécifique et à prendre la responsabilité de dossiers ou de projets que je leur délègue volontiers. Ainsi plusieurs de mes collègues sont devenus des experts qui interviennent fréquemment, à l’Université de Liège et ailleurs, dans le cadre de formations de formateurs. J’ai aussi le bonheur de voir apprécier dans d’autres institutions les qualités des enseignants et des chercheurs qui ont fait leurs études ou leurs recherches avec moi. Je dois admettre que je ne suis pas peu fier des compétences, du dynamisme, de la cohésion, de la réputation de l’ensemble de notre équipe, ainsi que du plaisir que ses membres ont – le plus souvent (?) – à travailler ensemble.

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