Il y avait trois ans qu’il n’avait plus de nouvelles de son avocat qu’il avait chargé d’introduire une requête au Palais de justice en vue de récupérer la part de la maison familiale accaparée par son ex-femme, et qui lui avait certifié que l’affaire serait réglée en deux temps trois mouvements.

Il y avait deux ans qu’il n’avait plus de nouvelles de son vieil ami d’enfance qu’il avait invité à dîner chez lui, avec qui il avait passé une si chaleureuse soirée à échanger des souvenirs et des confidences, et à prévoir quelques virées ensemble, et qui lui avait promis de reprendre contact avec lui au plus tôt pour l’inviter à son tour.

Il y avait un an qu’il n’avait plus de nouvelles de l’entrepreneur qui avait dressé des échafaudages dans son appartement, qui avait entreposé des sacs de ciment sur son balcon, qui avait commencé puis abandonné à mi-chemin les travaux de maçonnerie, et qui lui avait annoncé qu’il viendrait finir le chantier la semaine suivante.

Il y avait six mois qu’il n’avait plus de nouvelles de sa fille qui était partie s’installer à l’étranger, à qui il avait eu la mauvaise idée de donner les bons conseils qu’elle lui demandait et dont elle n’avait pourtant que faire, et qui s’était emportée en l’avisant qu’il n’entendrait plus parler d’elle avant qu’elle n’ait réussi sa vie.

Il y avait trois mois qu’il n’avait plus de nouvelles de son collègue avec qui il s’était lancé dans un ambitieux projet impliquant d’importants crédits et de nombreux collaborateurs, et qui  s’était engagé à lui envoyer pour la fin du mois au plus tard son rapport sur la part de son travail pour boucler et déposer le dossier à temps.

Il y a un mois qu’il n’avait plus de nouvelles de son médecin à qui il avait fait part de ses inquiétudes depuis qu’il s’essouffle plus rapidement que d’habitude et qu’il sent quelquefois des douleurs dans la poitrine, qui lui avait répondu qu’il s’agissait probablement d’un coup de fatigue, et qu’il le rappellerait bientôt pour le recevoir entre deux autres rendez-vous.

Il a plusieurs jours qu’il n’avait plus de nouvelles de sa compagne qui lui avait expliqué qu’elle devait marquer une pause dans leur relation, qu’elle avait connu trop de déceptions sentimentales et qu’elle ne voulait pas se tromper cette fois, que c’était peut-être reculer pour mieux sauter, l’avait-elle rassuré, et qu’elle ne tarderait pas à lui donner une réponse.

C’est effectivement elle qui a accueilli les visiteurs au funérarium. Elle a ainsi fait la connaissance de l’avocat, de l’ami d’enfance, de l’entrepreneur, de la fille, du collègue, du médecin de son compagnon, qui tous se sont empressés de venir rendre un dernier hommage à ce brave homme qui était bien sûr parti trop tôt : l’impatience était bien son seul défaut !

[Merci pour votre avis : jmdefays@uliege.be]