Visibilité et responsabilité

Le Billet du président, in Le Français dans le Monde n° 433

Il semble devenu à la fois de plus en plus ardu et de plus en plus crucial de se faire remarquer en ces temps de surinformation, de super-médiatisation et d’over-peopelisation des projets professionnels, des activités sociales et des relations humaines. L’ancienne injonction “publish or perish” a laissé la place à celle, plus frivole mais tout aussi radicale, de “paraître – sur Internet – ou disparaître” qui oblige à occuper à tout prix et à tout moment l’espace médiatique, et qui encourage forcément le radotage, l’étalage, le racolage.

Cette exigence et ses dérives concernent autant les personnes que les organismes. Par exemple, nous avons fait ces dernières années de gros efforts pour « renforcer la visibilité » (c’est l’expression consacrée) de la FIPF. Non seulement pour la faire – mieux – connaître et ainsi aider davantage de professeurs de français dans le monde avec plus de poids pour y parvenir, mais aussi pour pouvoir exprimer publiquement notre gratitude à l’égard de nos partenaires et sponsors sans la collaboration desquels notre Fédération ne pourrait pas exister. Mais pour être plausible et utile, la visibilité doit rester un moyen et, dans le meilleur des cas, le résultat d’une politique efficace et d’activités pertinentes, jamais devenir un but en soi sous peine de vider finalement l’organisme de son contenu et de compromettre sa vocation.

Il en va de même pour des individus. Il est évident que les meilleurs amis, les meilleurs collaborateurs, les meilleurs représentants ne sont pas celles et ceux que préoccupe avant tout leur popularité. Il est aussi évident que la visibilité individuelle est légitime pour autant qu’elle serve la cause que l’on prétend défendre, sinon on en viendrait à s’interroger sur les motivations de celles et ceux qui recherchent tant de publicité. À ce propos, nous avons la chance à la FIPF d’avoir toujours pu compter jusqu’à présent sur des collègues aussi dévoués que désintéressés, et de même que sur des responsables plus soucieux de la Fédération que de leur propre image ou carrière. Pourvu que cela continue ainsi !

L’importance prise aujourd’hui par cette médiatisation et l’obsession qu’elle provoque, ont surtout l’inconvénient d’avoir fait de la réserve et de la mesure presque des défauts. À l’heure où l’on aurait tendance à confondre ladite visibilité avec la crédibilité, avec l’efficacité, avec l’engagement, et à prendre finalement des vessies pour des lanternes, je voudrais profiter ici de l’occasion pour rendre hommage à  tous les discrets[1], souvent plus utiles que les autres, sans lesquels la FIPF ne serait qu’une coquille vide.

Par ailleurs, à l’heure également où la FIPF va se choisir de nouveaux dirigeants, pour ses Bureaux international et régionaux, alors qu’elle est confrontée à un des moments les plus difficiles de son histoire, nous espérons que ne manqueront pas les candidatures de collègues qui, justement, ne se laissent pas mener par des ambitions personnelles, mais qui se feront remarquer par leur sens des responsabilités, par leur esprit rigoureux, par des projets consistants, et par leur dévouement sincère au service de notre communauté.  Merci déjà à elles et à eux, et vive la FIPF !

[1] À l’instar de Susan CAIN, il y a plusieurs années déjà : La Force des discrets, JC Lattès, 2013