L’orthographe, mieux vaut en rire!

(« Le Billet du Président », Le Français dans le Monde, n° 416, mars-avril 2018)

Deux jeunes professeurs de français font actuellement beaucoup parler d’eux en Belgique. Ni humoristes, ni comédiens, ils font pourtant se tordre de rire des salles combles dans de nombreux théâtres et centres culturels à propos d’un sujet que vénèrent certains, qui angoisse d’autres, qui ennuie la plupart : l’orthographe de la langue française.(1) Entendons-nous, ils ne se moquent pas des élèves peu férus de dictées, ce qui ne serait pas plus estimable qu’original, mais au contraire de l’absurdité – qu’on ose encore appeler « subtilité » – des contraintes linguistiques aussi incohérentes qu’arbitraires qu’on leur impose aveuglément génération après génération, ainsi qu’à tout usager du français dès qu’il veut l’écrire.

Nos deux collègues abordent pourtant la question de manière on ne peut plus sérieuse, avec des listes d’exemples, des statistiques, des rappels historiques, des références savantes, des avis d’experts ; ils proposent même au public de voter démocratiquement pour diverses améliorations du « système » (?) orthographique. Aussi ne leur faut-il pas plus d’une heure pour démonter tous les arguments en faveur de l’orthographe actuelle et démontrer que ce n’est finalement qu’une grosse farce dont on ne connaît plus les responsables… mais bien les victimes : tous les francophones, à commencer par les apprenants, la langue elle-même, son usage, son rayonnement, et finalement la créativité, la liberté, l’égalité que toute langue devrait favoriser.

Fallait-il que ces deux profs quittent l’école pour plaider en faveur du bon sens et de la bonne volonté en matière de norme et d’enseignement linguistiques ! Devant les gaspillages, les frustrations, les inhibitions, les exclusions provoqués par une langue écrite sclérosée et alambiquée (à dessein ?), et devant les échecs répétés des propositions de réformes pourtant superficielles, ils ont fait le pari que la dérision pourrait, à plus long terme sans doute, réussir là où la persuasion n’a encore eu que peu de succès. On verra si eux et leurs pairs auront finalement raison du purisme sectaire et ses effets toxiques.

Entre-temps, on ne peut en tout cas pas leur donner tort de vouloir désacraliser la langue et dédramatiser les débats, des plus érudits aux plus passionnels, que ses usages et règles suscitent, ni contester que leur approche est roborative : en sortant du spectacle, on se sent aussitôt plus léger, plus intelligent, plus inventif, mieux dans sa langue. Quel est le professeur qui ne souhaiterait pas que ses élèves sortent ainsi de sa classe ?(2)

(1) Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, La Faute de l’orthographe : voir www.laconvivialite.com

(2) Pour mémoire, les Résolutions du Congrès mondial de la FIPF à Liège en 2016 préconisent de « travailler sur la langue elle-même, afin de la rendre plus appropriable, [estimant] que la modernisation de l’écriture du français — correspondant à l’évolution normale de tout équipement linguistique — ne comporte que des avantages : non seulement elle fournit aux usagers une image plus exacte des véritables mécanismes langagiers, mais surtout elle permet aux enseignants de libérer un temps précieux pour conduire davantage leurs élèves à lire, à écrire, à écouter, à parler, à penser. » Voir http://fipf.org/actualite/resolutions