Le secret des Finlandais

Depuis que les élèves finlandais se montrent les meilleurs toutes disciplines et compétences confondues – lecture, mathématiques, sciences – aux évaluations internationales PISA  (« Programme international pour le suivi des acquis des élèves ») que l’OCDE a commencé à organiser en 2000, les ministres et autres responsables de l’enseignement du monde entier s’interrogent sur les raisons de ce succès. Ils se  rendent donc en délégations dans le Grand Nord pour connaître le secret sur lequel repose le système scolaire finlandais, au point que les directeurs d’écoles et les professeurs sans cesse sollicités en viennent parfois à regretter la tranquillité et la discrétion qu’on apprécie là-bas plus qu’ailleurs.

Pourtant, c’est seulement parce qu’il est tellement évident et à portée de main que ce secret en est un, comme pour le mystère de la lettre volée d’Edgar Poe. En voici la clé : les écoles finlandaises mettent tout simplement mais réellement en pratique quelques principes de base bien connus de tous les pédagogues qui les ont testés et de tous les enseignants qui en ont fait l’expérience. On peut les résumer en quelques traits :

  1. Privilégier le primaire car c’est effectivement à cet âge et lors des premiers contacts avec l’école que tout se joue ; la réussite aux niveaux supérieurs dépend moins des professeurs du supérieur que des instituteurs qui ont d’abord formé les élèves, on ne le dira jamais assez. Les enseignants de tous les niveaux ont d’ailleurs le même degré de formation, la même considération et les mêmes rémunérations.
  2. Favoriser la motivation, la curiosité spontanée, les différences, l’originalité des enfants, même anarchique (« Je ne me suis civilisé qu’à l’âge de 15 ans », déclarait récemment un ambassadeur de Finlande), plutôt que leur docilité, leur normalisation, leur compétitivité, dont les effets peuvent être désastreux, à court comme à long terme.
  3. Préférer la liberté, l’épanouissement et les aspirations personnelles aux contraintes, aux formatages, aux cloisonnements, aux hiérarchies, aux profils stéréotypés, aux voies toutes tracées, surtout aux voies de garage. Les instituts professionnels et les universités ont la même réputation, et on peut y commencer, poursuivre ou reprendre des études tout au long de sa vie.
  4. Guider et encourager plutôt qu’évaluer, classer, pénaliser, inhiber, exclure ; les étudiants finlandais ne passent réellement leur premier examen que vers l’âge de 15 ans, mais leur parcours a été avant cela scrupuleusement suivi, évalué, conseillé par l’équipe pédagogique pour l’adapter à leurs aptitudes, à leur personnalité, à leur rythme et à leurs souhaits.
  5. Développer l’écoute, la confiance, le respect, la concertation entre tous les acteurs de l’éducation, les responsables ministériels, les responsables de l’école, les enseignants, les parents, et bien sûr les élèves eux-mêmes, qui sont tous des alliés en faveur de l’épanouissement de l’individu comme du bien-être de la communauté.
  6. Encourager le travail d’équipe plutôt que l’individualisme, la concurrence et la hiérarchie, aussi bien chez les élèves que parmi les enseignants, et cela entre les différents niveaux  pour assurer la cohérence des parcours scolaires, d’études et de formation.
  7. Éviter les formalités et la bureaucratie qui empêchent les éducateurs de se consacrer à leur cœur de métier et qui finissent par polluer les rapports humains qui doivent rester l’essentiel de la pratique pédagogique.
  8. Rendre l’enseignant responsable de son travail et de sa formation continue, avec le minimum de contraintes et de contrôles extérieurs ; la multiplication et la succession des programmes, des instructions, des règlements, des inspections sont des conditions qui ne favorisent guère l’engagement personnel, le libre exercice de ses compétences, la disponibilité et la créativité qui sont à la base de ce métier.

Je suppose que beaucoup pensent qu’ils seraient heureux de pouvoir appliquer ces principes s’ils en avaient les moyens. Peut-il faut-il alors ajouter ce dernier principe qui veut que l’enseignement et l’éducation doivent être une priorité pour les pouvoirs publics et chacun des citoyens, et qu’à ce titre, ils méritent un investissement humain, logistique, budgétaire à la hauteur des risques que l’on prend en les négligeant. Ceci n’est pas une fatalité, mais un choix politique.