(paru dans le Français dans le Monde n° 409, janvier-février 2017)
Lorsque je rencontre les professeurs de français à l’occasion de mes missions à l’étranger, et que nous parlons de leurs conditions de travail, ils commencent généralement – quel que soit le pays ou le contexte – par se montrer moroses et inquiets : la langue française et son enseignement sont menacés par la concurrence d’autres langues, par les préjugés négatifs persistants, par les restrictions budgétaires, par les réductions de programmes, par le désintérêt des responsables éducatifs ou politiques, par la démobilisation des collègues, par les exigences des partenaires, par les contraintes de la mondialisation, etc.
Même s’il faut prendre un peu de recul, ces difficultés sont réelles et ces craintes fondées : la situation, la diffusion, le statut du français et des cultures francophones dans le monde, ainsi que de toutes les autres langues et cultures, ont beaucoup changé en dix ou vingt ans sous l’effet des multiples et profondes mutations géopolitiques, économiques, technologiques, socioculturelles que le monde est en train de connaître. Les enseignants qui ont aujourd’hui passé la cinquantaine, dont je fais partie, ne manquent donc pas de motifs pour se laisser entraîner à la nostalgie. Même si l’on n’a pas fait table rase de l’histoire, la langue française, les cultures francophones, leur enseignement se trouvent, sur le plan international comme local, dans de nouvelles configurations auxquelles il faut bien s’adapter sans renoncer pourtant à les infléchir ou à profiter de toutes les opportunités qui se présentent.
Mais les conversations, heureusement, ne s’arrêtent jamais sur ces regrets qui ne représentent finalement que des préliminaires avant que les mêmes professeurs expliquent et démontrent, avec de plus en plus fougue au cours de la discussion, qu’ils n’ont rien perdu de leur optimisme, que ces nouveaux défis ne font finalement que redoubler leur dynamisme et leur créativité en faveur de l’enseignement de la langue française qui est pour eux autant une passion qu’un métier. Et d’énumérer leurs initiatives pour rendre leurs cours plus captivants et efficaces, pour les accorder aux envies et aux besoins de leurs publics, pour susciter des vocations chez de jeunes chercheurs ou de futurs enseignants, pour attirer l’attention des responsables éducatifs et politiques mais aussi celle du grand public sur les atouts et les attraits du français, pour organiser des rencontres scientifiques, pédagogiques et culturelles, y inviter des spécialistes ou des artistes francophones, etc.
Je ne sais pas si les professeurs d’autres langues et cultures exercent leur métier avec la même ferveur – je le leur souhaite en tout cas ! –, mais je dois dire que celle que manifestent les professeurs de français et qu’ils communiquent à leurs élèves est partagée dans le monde entier. Partout la langue française et les cultures francophones restent, pour ces enseignants et ces apprenants, le choix du cœur, même s’il y a bien sûr également mille raisons pour qu’on s’y intéresse. Cet enthousiasme et cette détermination en faveur du français ne sont pas seulement un bon signe, mais la preuve que son avenir est assuré et, avec lui, celui de la diversité linguistique, culturelle, et de cet humanisme qui transcende les objectifs instrumentaux, économiques, stratégiques actuellement privilégiés. Je reviens donc de ces missions et de ces rencontres à la fois très encouragé, et surtout heureux et honoré de pouvoir me mettre au service de collègues aussi compétents et entreprenants.