L’histoire de la didactique des langues a été rythmée au cours des cinquante dernières années par les rapports variables, souvent conflictuels qu’elle a entretenus avec des composants comme la grammaire, la littérature, la traduction, la prononciation, la mémorisation… qui, dans certaines méthodes, ont été considérés comme essentiels à l’apprentissage d’une langue, avant d’être négligés ou rejetés dans les méthodes suivantes parce qu’ils empêcheraient cet apprentissage ou le détourneraient de sa vocation première. Tout dépendant évidemment de savoir pour( )quoi, en un ou deux mots, on apprend ou on enseigne une langue étrangère, le français le cas échéant. À l’heure actuelle, on vit plutôt une ère méthodologique éclectique, sans exclusives radicales comme auparavant, où tout est pratiquement possible et potentiellement utile pour peu que cela serve les objectifs communicatifs en vigueur quasiment partout, en particulier dans le CECR.
La culture aussi a connu des relations problématiques avec la langue dans l’évolution de notre didactique. Tantôt, elle a été reléguée dans les annexes des cours et des manuels, sous forme de complément de civilisation. Tantôt, elle a tout simplement été ignorée, gommée, comme si c’était possible !, parce qu’on estimait que ses variétés étaient autant d’obstacles à l’apprentissage et à la communication. Tantôt, elle a été isolée dans des encadrés, sous forme de rapports, de statistiques, de documents authentiques, qui donnaient aux leçons un semblant d’ancrage dans la réalité. Tantôt, elle a été réduite à quelques expressions pittoresques ou curiosités touristiques pour attirer l’attention des apprenants. Tantôt elle a été instrumentalisée, dans le cadre de l’enseignement du français sur objectifs spécifiques, au service des commerciaux ou des hôteliers étrangers. Ce n’est finalement que depuis peu de temps, en didactique, dans la perspective des approches communicatives, comme en linguistique pragmatique, en analyse des discours, en psychologie développementale, que l’on reconnaît et professe que la culture fait partie intégrante de la communication et qu’elle est indissociable de la langue et de son apprentissage.
Il est donc maintenant incontestable que l’on ne peut pas enseigner les langues étrangères sans enseigner ipso facto les cultures étrangères, et partant l’interculturalité. On ne peut que s’en féliciter, mais on fera tout de même remarquer que la didactique, comme un bateau à voile, semble une nouvelle fois devoir virer systématiquement de bord pour avancer, qu’elle ne peut s’empêcher d’opposer les principes et les approches, de les remplacer les uns par les autres plutôt que de chercher à les combiner et à les harmoniser. Car nous voyons depuis un certain temps, dans les formations pédagogiques comme dans les recherches scientifiques, le culturel prendre le pas sur le linguistique qui ne jouerait plus qu’un second rôle, ancillaire. Bien sûr qu’un enseignant de langues et cultures étrangères est fondamentalement un médiateur interculturel ; bien sûr que la langue seule ne peut assurer cette médiation, qu’elle doit s’associer à de nombreux autres facteurs ; bien sûr que chaque mot de la langue, chaque aspect de la communication, chaque composant de l’interaction sont vecteurs, porteurs, créateurs de culture. Il n’empêche que, même si elle y est immergée, en est imprégnée, la langue n’est pas soluble dans la culture et que c’est sur le versant de la langue et de la formation linguistique de la communication que nous exerçons notre métier pour rendre les meilleurs services à nos apprenants, en particulier à ceux qui doivent le mieux et le plus vite possible s’approprier la culture du pays où ils viennent d’arriver.