Cohésion sociale, francophonie et FIPF

(participation au colloque « Langue française et cohésion sociale – enjeux actuels et stratégies d’action », le mercredi 18 octobre 2017, organisé par M. le Délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale Thierry Lepaon, CESE, Paris)

Avant tout, j’aimerais remercier M. le Délégué interministériel et les organisateurs de ce colloque de m’avoir convié à y participer, non seulement moi personnellement, mais surtout, par mon intermédiaire, de donner l’occasion à la Fédération Internationale des Professeurs de Français, que j’ai l’honneur et le plaisir de présider depuis l’année dernière, d’apporter sa contribution à un débat qui l’intéresse au premier chef et de rappeler sa mission – en tant qu’organisme international non gouvernemental – en faveur de l’enseignement et de la diffusion du français dans le monde en interaction avec les autres acteurs et opérateurs de la francophonie. Je voulais aussi saluer la présence à ce colloque de la Vice-Présidente de la FIPF, Mme Cynthia Eid, de M. Stéphane Grivelet, son Secrétaire général, et de plusieurs présidents et responsables d’associations membres de notre Fédération.

En quelques mots, la FIPF fédère actuellement plus de 200 associations de professeurs de français dans 120 pays répartis sur les cinq continents au travers de sept commissions régionales et d’une commission transversale dédiée au français langue maternelle. On estime qu’au travers de toutes ses associations affiliées, la FIPF touche environ 80 000 professeurs de français dans le monde entier, soit environ un professeur de français sur dix, compte tenu que l’on estime qu’il y aurait entre 800 000 et 1 million de professeurs de français sur la surface de la planète, langue maternelle, seconde ou étrangère confondues.

Les congrès mondiaux et régionaux de la FIPF réunissent chaque fois plusieurs centaines de participants, parmi lesquels nos partenaires internationaux, de l’OIF, de l’AUF, des Instituts français, des Alliances françaises, des Ministères et des Ambassades que nous impliquons maintenant systématiquement dans nos actions. Les éditeurs, les responsables de formations, les représentants des médias sont aussi des partenaires privilégiés. Nous publions également plusieurs revues, dont le Français dans le Monde n’est pas la moindre, qui assurent aussi un lien précieux dans la communauté internationale des professeurs de français. Francophonies du Sud, Recherches et Applications, Dialogues et Cultures, le site internet francparler.org sont aussi des médias importants à mentionner, auxquels nous ajouterons Le Livre blanc, remarquable état des lieux de l’enseignement du français dans le monde dressé en 2016 par nos prédécesseurs.

Tout ceci ne serait évidemment que statistiques, bilans et bibliographies sans ces milliers de professeurs bénévoles qui, en dépit de conditions parfois difficiles, s’efforcent, par leurs incessantes activités au sein de leur association, de promouvoir un enseignement de français pertinent, cohérent, attrayant.  Ce sont ces collègues compétents et dévoués qui, au plus près de la réalité, se battent au jour le jour pour la francophonie qu’il faut mettre à l’honneur, qu’il faut soutenir. Nous estimons en effet que les associations sont des relais essentiels entre ces enseignants, d’une part, et les institutions et organismes nationaux et internationaux, d’autre part, et que c’est en renforçant leur statut et leur fonctionnement, et en les impliquant dans un réseau international qu’on a le plus de chance d’assurer une diffusion plus large, intense, adaptée, pérenne des développements et des innovations pédagogiques en faveur du français. Convaincue que c’est grâce au professionnalisme et au dynamisme des professeurs de français d’aujourd’hui, où que ce soit, que l’on prépare, partout, la francophonie de demain, la FIPF s’est donné comme premier objectif d’épauler ces associations dans leur travail quotidien comme dans leurs projets à plus long terme pour réunir, motiver, aider, former, valoriser, mobiliser les enseignants de terrain, que ce terrain soit – selon les cas – une classe sans chaise ni électricité ou un laboratoire de langues high-tech. La FIPF doit être l’atout international pour les associations comme l’atout associatif pour l’enseignement du français dans le monde.

Pour cela, avec ses partenaires, la FIPF développe des projets un peu partout dans le monde :

  • pour apporter les outils et compétences nécessaires aux responsables associatifs et leur permettre de rendre leur association la plus efficace et dynamique possible (formation des responsables, publication de guides de la vie associative) ;
  • pour encourager des activités nouvelles et innovantes  (appels d’offres, initiatives nationales et régionales) ;
  • pour faciliter les échanges entre associations, et entre une association et des partenaires potentiels (ateliers associatifs, procédure d’accréditation des colloques et congrès, etc.) ;
  • pour faire entendre la voie de la société civile dans de grandes actions  institutionnelles (notamment avec l’OIF, pour que les associations aient un rôle plus important dans les projets tels que IFADEM, ELAN, ou le nouvel « Enseignement massif »).

Nous sommes d’autant plus heureux de participer à ce colloque qu’il nous semble utile d’insister sur l’intérêt pour les différents acteurs de la francophonie, les responsables du monde politique, institutionnel, diplomatique, éducatif, culturel, associatif, éditorial, de se réunir, de se concerter, de se mobiliser ensemble en vue de renforcer la pertinence et l’efficacité de leurs actions sur le terrain, jusque dans la classe des enseignants de français qui en ont le plus besoin. Pour la FIPF qui entend faire désormais rimer « projets » et « partenariats », c’est devenu une priorité, au travers de ses associations membres, de participer à ce type de collaborations ou de les susciter. Chacun des colloques et congrès auxquels elle est associée sera l’occasion de confirmer ces partenariats ou d’en créer de nouveaux. D’où l’orientation davantage stratégique de la FIPF qui doit contribuer à un réseau associatif plus efficace, à un enseignement du français plus performant, à une francophonie plus créative.

J’aimerais maintenant épingler trois de nos préoccupations principales :

La communication est un défi essentiel pour un organisme comme la FIPF dont la mission est précisément de susciter le dialogue entre les associations, les institutions, les partenaires, les opérateurs de la francophonie, sans parler des professeurs eux-mêmes. Il est aussi important pour nous de susciter les échanges entre ces associations et ces professeurs dans le monde, que d’adresser à ce monde une image stimulante, dynamique, solidaire de notre fédération, partant de l’enseignement du français. Nous tirons bien entendu notre propre motivation de la satisfaction que nous avons à rencontrer partout dans le monde des interlocuteurs passionnés par la langue et les cultures qu’ils enseignent, comme par leur mission de transmettre cette passion à leurs élèves, à leurs collègues, à leur entourage. Dans un colloque consacré à la cohésion, il convient de souligner l’intérêt de mobiliser, d’associer, de réunir non seulement des institutions mais surtout des personnes, en particulier celles qui se trouvent entre les langues et les cultures, qui en permettent le passage et le partage. Faciliter les échanges professionnels, bien sûr, mutualiser les bonnes pratiques, les techniques, les ressources pédagogiques, certes, mais aussi développer l’interaction, la convivialité, la solidarité entre ces enseignants dont les qualités humaines sont aussi essentielles que leurs compétences. La FIPF tient à valoriser dans sa communication non seulement l’enseignement des langues mais aussi les enseignants de langues, de français en l’occurrence, en tant que médiateurs primordiaux entre les générations et les cultures. Est-ce grandiloquent de dire que c’est dans leur classe que se joue l’avenir de l’humanité ? D’où notre souci de susciter des vocations, de développer des compétences, de prévoir des ressources pour l’exercice d’un métier dont on va cruellement avoir besoin dans un proche avenir, en particulier en Afrique, mais pas seulement : je reviens d’un pays pourtant à la pointe du développement en matière de politique et d’enseignement linguistiques où, faute d’enseignants, des élèves ne peuvent pas choisir d’apprendre le français comme ils le souhaiteraient.

Le second défi concerne le caractère francophone de la vocation comme des démarches de la FIPF. Face aux défis et aux opportunités d’un monde plurilingue et interculturel, comment ne pas mettre en évidence l’exemple de la diversité qu’anime et que défend la francophonie, et les valeurs d’ouverture et d’enrichissement mutuel sur lesquelles cette diversité repose et doit continuer à se développer! On ne doit pas se cacher que d’anciens stéréotypes ou de vieilles habitudes ont encore cours dans les classes, dans les programmes, dans les manuels, dans les esprits, et qu’il est effectivement plus facile de s’en tenir à des représentations simples qu’à reconnaître les réalités multiples. Encore récemment, lors d’une mission en Asie, j’ai entendu des responsables estimer que la dimension francophone restait réservée aux initiés et qu’auprès de ceux qui ne l’étaient pas, il était préférable de s’en tenir au prestige et au rayonnement de la France, en insistant plutôt sur le français comme « langue internationale ». J’ai été plus que surpris et déçu par cette conception d’une francophonie fermée, réservée, peu motivante, mais on doit retenir de ce témoignage qu’il reste du chemin à parcourir pour articuler les concepts et les réalités du français langue de la France, langue de la francophonie et langue internationale. La FIPF s’emploie à sortir la francophonie des limites hexagonales, bilatérales, et même européocentriques, et n’a de cesse de rappeler qu’elle est un organisme international quand bien même son siège se trouve à Paris et que ses partenaires français sont parmi les plus importants et stimulants. Pour ne parler que de l’année écoulée, nous avons multiplié nos contacts avec tous les pays de la francophonie, à commencer par des démarches en Fédération Wallonie-Bruxelles, en Suisse et plus récemment au Canada pour relancer la dynamique du multilatéralisme. Nous avons depuis lors organisé des formations à Dakar et à Rabat, une collaboration pédagogique en Afrique de l’Ouest avec les institutions suisses et, avec les institutions francophones de Belgique, début décembre, à Bruxelles, un séminaire international sur la participation des associations de professeurs à l’accueil des migrants. Mais notre action dépasse aussi les pays de la Francophonie, puisque la FIPF a des associations membres dans de nombreux pays qui ne sont pas membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie. L’avenir de la langue française se joue aussi dans ces pays-là.

Troisièmement, j’aimerais dire quelques mots d’un handicap sérieux à la diffusion de la langue française et en particulier de son enseignement – le versant qui nous concerne. Ce handicap n’est pas tellement sa réputation – très relative – d’être une langue difficile (il y en a d’autres), mais d’être une langue peu accessible, qui est réservée à une élite, scolairement ou socialement privilégiée, et surtout dont on ne peut faire usage que sous conditions. Alors qu’un apprenant chinois s’essaiera sans trop de complexe à communiquer dans un anglais ou un espagnol approximatifs, il n’osera pas prendre une telle liberté ou un tel risque en français, comme si, dans ce cas, il fallait déjà bien maîtriser la langue avant de pouvoir s’en servir. On sait que l’image du français comme langue de culture est à double-tranchant et nous n’allons pas débattre ici de l’origine de ce respect, qui se solde par une inhibition que le français suscite encore à l’étranger, inhibition que l’on doit certainement à la tradition puriste qu’on y a aussi exportée. Mais il faudrait que l’on s’interroge plutôt – dans un colloque sur le thème de la cohésion sociale – sur les moyens à mettre en œuvre pour défendre et illustrer une langue française « pour tout le monde », y compris pour ceux qui sont en train de l’apprendre ; sur les moyens pédagogiques, communicatifs, stratégiques à mettre en œuvre pour décomplexer ces apprenants potentiels ou débutants et les encourager à déjà communiquer avec un vocabulaire limité, une grammaire rudimentaire, des connaissances culturelles réduites, avant d’enrichir ce vocabulaire, d’affiner cette grammaire, de développer ces références culturelles. Aussi plaiderai-je pour terminer en faveur d’une conception élargie et surtout accueillante de la francophonie qui doit autant inclure ceux qui ont appris la langue de sept à septante-sept ans et au-delà, comme les lecteurs de Tintin, que les francophones qui l’ont apprise dès la naissance. Et de rappeler que la langue appartient à ceux qui s’en servent, même aux apprenants allophones, et que chacun peut l’utiliser, l’adapter ou l’enrichir comme il en a la possibilité, le besoin ou l’envie. Me vient une idée pour finir : si on leur prêtait davantage d’attention, peut-être les difficultés, les réticences, les inventions des francophones en herbe ou d’adoption permettraient-elles de soulager un tant soit peu le français de certaines vieilleries, lourdeurs et incongruités?