Ça dépend!

En boutade, je dis toujours à mes étudiants futurs enseignants de FLE que s’ils commencent par répondre « ça dépend » à chacune des questions d’examens, ils étaient assurés d’avoir au moins la moitié des points. Pas vraiment une boutade, en fait!

En effet, je suis le premier à admettre que tenir des propos généraux et théoriques sur l’enseignement d’une langue et d’une culture étrangère est une réelle gageure, peut-être une illusion. D’abord parce que, contrairement aux situations et aux modalités d’enseignement-apprentissage d’autres disciplines qui sont passablement semblables, celles relatives à l’enseignement-apprentissage des langues connaissent une très grande diversité dont nous ne pouvons tenir compte que dans une certaine mesure. En effet, est-ce le même métier que d’enseigner le FLES à de jeunes ingénieurs chinois, à des mères de famille maghrébines peu ou pas scolarisées, à des lycéens italiens, à des traducteurs finlandais, à des écoliers louisianais, à des universitaires africains, à des réfugiés politiques tchétchènes, à des retraités hollandais, et de le faire dans un pays francophone ou dans le pays des apprenants, dans une école officielle ou dans un organisme de promotion sociale, d’entraide, ou de loisir ? Aussi est-il risqué de donner des conseils catégoriques sous prétexte qu’ils sont appropriés à certaines circonstances, et a fortiori de fixer des règles générales, si ce n’est celles de se montrer attentif, disponible et créatif.

D’autre part, dans chaque situation, l’apprentissage d’une langue dépend d’une multitude de facteurs dont il est inutile de chercher à dresser la liste exhaustive tant ils sont nombreux et intriqués. S’il est intéressant de tenter de les distinguer sur le plan méthodologique comme nous le faisons pour mieux les comprendre, il faut sans cesser garder à l’esprit que ces aspects sont interconnectés et interactifs lors de l’apprentissage, que ce soit à l’occasion d’un exercice dans la classe, d’une conversation dans la rue, ou encore dans la tête de l’apprenant qui cherche à (se faire) comprendre. Les méthodes se distinguent précisément par l’importance relative qu’elles donnent à ces différents facteurs, et la combinaison qu’elles en proposent. Pas de règle générale ici non plus, si ce n’est celle des meilleurs régimes diététiques : veiller autant à la diversité qu’à l’équilibre du menu, c’est-à-dire tenir compte de la multiplicité des composants dans un projet pédagogique cohérent.

Le professeur doit plutôt chercher à orchestrer qu’à maîtriser les paramètres de l’enseignement et de l’apprentissage, en distinguant ceux sur lesquels il n’a aucune prise (en fonction des cas : les finalités, les contraintes spatio-temporelles…) de ceux qui dépendent directement (le choix des activités, des documents…) ou indirectement de lui (la motivation des apprenants, la collaboration avec les collègues…). S’il convient d’être le mieux informé et formé possible concernant sa mission avant d’entrer en classe, il est aussi important de laisser suffisamment de marge de manœuvre aux personnes et aux circonstances pour qu’elles trouvent naturellement leur équilibre sans s’obstiner à appliquer coûte que coûte des schémas tout faits.