[Le « Billet du Président », Le Français dans le Monde, n° 421]
Connaissez-vous ces indiens qui répondent au nom de Yaka ? Cette redoutable tribu, qui ne vit pas seulement en Amérique, est composée d’une multitude de membres sévissant dans tous les pays, dans tous les domaines, à tout propos. L’enseignement des langues ne leur échappe malheureusement pas!
Je suis certain que vous avez déjà rencontré de nombreux Yaka et que vous êtes obligés d’en côtoyer plusieurs ; on les reconnaît facilement : ils n’ont pas la peau rouge et ne portent pas de plumes, mais ils commencent toutes leurs interventions en disant : « yaka »!
Cette tribu compte par exemple les gens qui n’y connaissent rien et qui vous annoncent que pour apprendre les langues « yaka » faire des efforts, « yaka » mémoriser des mots de vocabulaire, « yaka » étudier la grammaire, « yaka » répéter des phrases, « yaka » faire ceci ou cela. C’est en vain qu’on tente de discuter avec eux.
Je suppose que plusieurs parents de vos élèves, prêts à vous apprendre votre métier, appartiennent aussi à cette tribu, convaincus que si leur enfant, forcément doué, n’apprend pas mieux les langues, « yaka » mieux les leur enseigner, ce n’est pas plus compliqué !
Nous connaissons aussi tous des collègues Yaka qui, bien intentionnés, vous font comprendre qu’ils ont plus d’expérience que vous, plus de créativité que vous, plus de charisme que vous, plus de génie pédagogique que vous, et qu’ « yaka » prendre exemple sur eux. Fallait y penser!
Mais on trouve autant de Yaka chez les spécialistes – les scientifiques, les conseillers pédagogiques ou les inspecteurs – qui estiment que pour enseigner les langues, « yaka » suivre les méthodes et les référentiels qu’ils ont mis au point ou qu’ils préconisent, et que s’ils ne fonctionnent pas, « yaka » les mettre mieux en pratique.
Si votre supérieur hiérarchique ou votre directeur est un Yaka, il résoudra rapidement tous vos problèmes (d’organisation, de discipline, de ressources…) par quelques consignes aussi simples qu’inutiles qui auront tout de même l’intérêt – pour lui – que vous ne prendrez plus la peine de le déranger.
Mais ce sont les grands chefs Yaka les plus inquiétants. Ces responsables politiques et éducatifs qui, face aux défis personnels, sociaux, communautaires que représentent l’intensification et la complexification des situations de plurilinguisme et de multiculturalité à tous les niveaux, proclament qu’ « yaka » enseigner plus de langues étrangères et plus vite, et que si cela ne suffit pas, « yaka » en faire le reproche aux enseignants qui ne sont pas suffisamment performants et innovants (les deux crédos de la pédagogie contemporaine).
Je ne sais pas si cela peut rassurer, mais sachez tout de même qu’une autre tribu d’indiens est encore plus terrifiante que les Yaka : les Yavaitkapas ! Un Conseil : évitez-les car, s’ils ne coupent pas les têtes pour les réduire, ceux-là coupent les jambes, et il vous faudra alors longtemps pour vous relever!