(Le Billet du Président, Le Français dans le Monde, n° 414, novembre-décembre 2017)
On fait souvent référence à l’écologie des langues depuis que Louis-Jean Calvet en a proposé un cadre et des modèles théoriques (Pour une écologie des langues du monde, Paris, 1999). Le succès de l’écologie dans tous les domaines et sous toutes les formes a contribué à la diffusion de cette approche des langues dont le propos n’est cependant pas de sauver celles qui sont en danger, au même titre que des animaux ou des plantes en voie de disparition (on lira plutôt à ce propos Halte à la mort des langues que Claude Hagège a publié deux ans plus tard).
Calvet se donne plus précisément comme objectif d’« étudie[r] les rapports entre les langues et leur milieu, c’est-à-dire d’abord les rapports entre les langues elles-mêmes, puis entre ces langues et la société » (p. 17). La question est simple : peut-on remplacer dans l’énoncé de ce projet le mot « étudier » par « enseigner », et développer ainsi une didactique écologique des langues ? C’est en quelque sorte pour y réfléchir ensemble que 400 professeurs ont participé au congrès de la FIPF qui vient d’être organisé à Kyoto du 20 au 25 septembre sur le thème « Écologie du français et diversité des langues ».
On sait maintenant très bien qu’on n’apprend pas une langue comme on ajoute une corde à un arc ou une ligne à un CV. L’apprentissage et la pratique d’une nouvelle langue provoquent, nécessitent même un réaménagement de l’univers cognitif, psychologique, social des apprenants. Aussi devrait-on effectivement plaider pour une didactique écologique qui serait respectueuse des individus, de leurs particularités, comme de celles de leurs contextes culturels, afin que cet apprentissage dont ils assureraient la dynamique se déroule de manière pertinente et cohérente.
Cette écodidactique devrait aussi être une didactique durable, entreprise non pas (seulement) en vue de résultats à court terme fixés par des tests systématiques qui conforment l’apprentissage à des modèles standards et l’assujettissent à des finalités instrumentales, mais dans la perspective à long terme du libre épanouissement des personnes et des communautés plurilingues et interculturelles. Les enseignants de langues et de cultures secondes ou étrangères ont leur part de responsabilité dans la promotion de la diversité qui est aussi la condition de survie de notre environnement humain.
Et pourquoi ne pas aussi encourager, dans le même ordre d’idée, à une didactique douce. Devant l’agitation incessante et la stimulation harcelante que font parfois subir des méthodes hyperactives à des apprenants de préférence extravertis, pressés d’accomplir des « performances », on aspire en effet à un peu de sérénité, comme à un peu de simplicité devant la sophistication excessive, peut-être inutile, de certaines théories, méthodes ou technologies qui détournent finalement l’attention de l’essentiel.
Durant le congrès de Kyoto, les participants ont donc pu prendre toute la mesure de la complexité et de la subtilité des facteurs qui permettent et conditionnent l’apprentissage des langues et des cultures, et de l’importance de les articuler de manière équilibrée dans le cadre d’un enseignement convivial et contextualisé, comme dans la perspective d’une vie – personnelle et sociale – harmonieuse… une didactique zen, serait-il possible de dire sous l’inspiration de l’endroit où se tenait le congrès.