(Introduction au VIIIe congrès international de l’Association Indienne des Professeurs de français, Shimla, du 29 au 31 mars 2017)
À l’heure des technologies de l’information et de la communication, et des relations virtuelles accessibles et incessantes sur toute la surface de la planète, quel intérêt y a-t-il encore à organiser des congrès, des conférences, des colloques, et à y faire venir de nombreux participants en personne, parfois de loin ? C’est une réflexion qu’on peut souvent entendre de la part de gens qui n’ont pas une grande expérience de la dynamique des réunions professionnelles, de la vie associative, des débats d’idées, des échanges de bonnes pratiques, ainsi que des conditions du développement scientifique et intellectuel. En fait, nous n’avons pas moins de raison aujourd’hui de voyager qu’Erasme qui parcourait l’Europe à cheval il y a cinq siècles, si ce n’est l’impact environnemental de nos modes de déplacements modernes. Il est clair que nous profitons tous de la facilité et de la rapidité des contacts via internet, que ce soit par expédition de mails, par diffusion et élaboration commune de documents, par vidéoconférences, par forums de discussions, par réseautage des interlocuteurs, etc. Beaucoup de travail peut ainsi être effectué à distance, chacun chez soi, à son rythme, entouré de ses ressources, de son équipement, de son équipe. Mais rien ne peut remplacer ces rencontres physiques régulières, « en présentiel » comme on est obligé de préciser désormais, entre des collègues, des partenaires ou tout autre public qui vont pouvoir profiter des interactions interpersonnelles essentielles à leur travail comme à leur vie professionnelle, mais qui franchissent difficilement l’écran de l’ordinateur. C’est effectivement en se côtoyant, en réagissant à chaud dans une assemblée, en bavardant librement entre deux réunions, en partageant un repas ou une soirée, qu’on a le plus de chance de se comprendre, de dialoguer, d’extrapoler, d’inventer, de créer du neuf ensemble, surtout entre participants qui viennent d’autres horizons géographiques, scientifiques, culturels.
C’est évidemment encore plus vrai dans notre domaine où la communication et les relations jouent un rôle aussi important, et où il faut les envisager autant comme des expériences vécues ou à vivre que comme des objets d’études et d’enseignement. Même si nous devons reconnaître que les didacticiels et l’enseignement à distance ont un grand intérêt pédagogique et logistique pour certains aspects de l’enseignement-apprentissage des langues et des cultures, nous devons rappeler que cet enseignement-apprentissage aussi complexe que subtil ne peut se limiter aux activités et aux compétences favorisées mais aussi canalisées et formatées par l’informatique et les TICE. Nous ne communiquons pas qu’à l’aide d’un code linguistique, mais grâce à une multitude et à une variété de signes et d’indices qui sollicitent autant notre intuition, nos représentations, nos émotions, notre empathie que notre raisonnement logique. Les sciences de la communication ont décrit quelques-uns de ces moyens de communication, comme la gestuelle, les mimiques, la gestion de l’espace, du temps, que d’aucuns ont désignés du nom de « langage silencieux » ou de « dimension cachée » et que l’on ne peut comprendre que par l’expérience vécue, et que l’on ne peut exercer que par la pratique d’interactions réelles en situations authentiques, de personne à personne, face à face, de vive voix !
Le monde et le langage du chercheur et de l’enseignant ne sont pas des mondes ni des langages à part : ils appartiennent au monde et au langage de tous, dans leur complexité et leur incertitude, si ce n’est que nous avons pour responsabilité d’interroger, d’analyser, d’expliquer, de représenter ce monde et ce langage. Mais surtout, alors qu’on pourrait le croire aussi austère et rigoureux que les machines qu’il manipule et que les théories qu’il échafaude, le scientifique a autant besoin que quiconque de contacts, de relations, de chaleur humaine pour travailler, pour penser, pour vivre, pour apporter sa contribution au bien-être commun et, espérons-le, à un meilleur avenir. Un congrès est d’abord un moment de convivialité confraternelle, culturelle, intellectuelle, et à ce titre, il n’a pas besoin d’autres justifications. Les congrès deviendront inutiles le jour où la science et l’enseignement seront confiés exclusivement à des robots, mais nous aurons alors tout le temps de le regretter !
Entre-temps, je remercie et je félicite les organisateurs de ce congrès et leurs partenaires pour leur magnifique projet, et je salue tous les participants pour leur présence et leur contribution à la réussite de ces journées de rencontre, de dialogue, de partage, menées en faveur de l’enrichissement mutuel que permet le contact des langues et des cultures, en particulier dans l’espace francophone et au moyen de la langue française qui se prêtent si bien aux échanges libres, nuancés, métissés.