Comment évaluer les travaux et les examens des étudiants d’échanges qui ne maîtrisent pas (encore) bien la langue française dans les cours autres que les cours de langue française, les « cours de discipline », par exemple, un cours de littérature, de philosophie ou d’histoire ? Cette question est souvent débattue lors de réunions et de délibérations avec les collègues non professeurs de français langue étrangère qui voient le nombre d’étudiants étrangers se multiplier à leurs cours et qui se plaignent souvent de leur maîtrise de la langue, qui n’est évidemment pas celle des étudiants francophones.
Au nom de l’équité qui voudrait que tous les étudiants participant à un même cours soient traités exactement de la même manière et évalués à partir des mêmes critères, certains pensent qu’un examen, même bon quant à son contenu, doit être jugé irrecevable quand on estime que l’étudiant ne maîtrise pas suffisamment bien la langue française, par exemple, une fois qu’il a dépassé dans sa copie la limite fatidique de dix fautes que le professeur a fixée. Peu importe que cet étudiant ait été nourri dans le sérail ou qu’il vienne de débarquer d’une université polonaise, chinoise ou brésilienne.
Si nous sommes tous d’accord, a fortiori les professeurs de FLE, sur le principe d’être vigilant à la maîtrise du français de tous les étudiants, y compris des allophones, ne faut-il cependant pas craindre que nous ne pénalisions finalement plusieurs fois ces derniers à cause de leur maîtrise de la langue, encore en progression, quand on se montre avec eux aussi sévère à ce propos dans les différents cours de disciplines que dans les cours de langue. Indépendamment de la langue, n’auraient-ils vraiment rien appris pendant des mois de cours ? Et cet apprentissage ne mérite-t-il pas une reconnaissance ?
Il est bien entendu qu’il est souhaitable que les étudiants étrangers aient dès le début une bonne connaissance du français, voire très bonne, mais on connait les difficultés à s’en assurer avant leur arrivée et surtout à prévoir la rapidité de leur progrès. De toute manière, comme l’amélioration ou même le perfectionnement de cette maîtrise du français fait aussi partie des finalités de leurs études et de leur séjour à l’étranger, leur reprocher en cours de formation de ne pas avoir atteint ces objectifs finaux (maîtriser la langue aussi bien qu’un natif) peut paraître injuste, voire paradoxal.
Toujours sur le plan des principes, on peut tout aussi bien invoquer l’équité pour, au contraire, tenir compte des différences de profils et de travail à fournir sur le plan linguistique entre les étudiants allophones et francophones dans l’évaluation d’un cours de discipline et lors d’un examen non linguistique. En tout état de cause, être allophone, ou plutôt francophone en formation, ne devrait pas être source de discrimination à l’encontre d’un étudiant alors qu’on encourage vivement les échanges internationaux et les compétences plurilingues.
Sur le plan didactique, il me semble aussi dommage de pénaliser aussi gravement l’examen – et surtout le travail considérable de préparation en amont – d’un allophone jugé par ailleurs réussi en décomptant des points pour chaque faute de langue. Plutôt que de sanctionner des fautes, n’est-il pas préférable, comme la pédagogie le recommande actuellement, de positiver l’apprentissage et ses résultats qui sont certainement au moins aussi importants pour les allophones que les francophones ?
Sur le plan psychologique enfin, je pense qu’on devrait aussi tenir compte des efforts importants que les étudiants étrangers doivent faire en très peu de temps pour s’immerger dans un environnement exclusivement francophone, pour s’adapter à un nouveau système et à une nouvelle culture universitaires, pour comprendre les exposés des professeurs, pour prendre des notes, pour lire des ouvrages en français, pour percevoir ce qu’on attend d’eux, pour gérer le stress de s’exprimer et surtout de passer un examen en langue étrangère. Même s’ils ont effectivement une seconde chance lors de la session d’examens suivante, des notes catastrophiques lors de la première n’encouragent guère à poursuivre ses efforts.
Il n’est pas question ici de brader des diplômes ni de solliciter un régime de faveur, mais de prendre en considération les spécificités des étudiants étrangers qui font désormais partie de notre public habituel, d’adapter nos pratiques pédagogiques à leur situation et, dans ce cas-ci, par exemple, de faire le départ entre l’évaluation linguistique et disciplinaire dans les cours non-linguistiques.
Les enseignants de FLE des écoles, des universités, de leur centre de langues, font tout leur possible pour accueillir les étudiants étrangers, les familiariser au plus vite avec leur nouvel environnement de vie et d’études, les aider au mieux à participer aux cours, avec toute leur variété d’activités et d’exigences selon les disciplines et les professeurs, à améliorer sans cesse leur maîtrise du français malgré le travail que leur donnent ces cours disciplinaires. Cependant, l’encadrement et la formation des étudiants étrangers, qui représentent effectivement une longue et difficile tâche, ne relèvent pas seulement de la responsabilité des enseignants de FLE, mais de celle de toute l’équipe pédagogique que constitue l’ensemble de leurs professeurs.