7. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.

[Honni soit qui mal y pense : cette histoire n’est pas sexiste, et elle pourrait aussi bien convenir en intervertissant le genre des personnages.]

Dès qu’elle apprend qu’un ambassadeur, un directeur de cabinet, un scientifique réputé, un quelconque responsable international participe à la cérémonie ou au colloque, elle n’a de cesse de se faufiler et de se presser autour des VIP pour apparaître sur les photos, en arborant ce large sourire qui ne la quitte jamais dès qu’elle se trouve en bonne compagnie. Encore mieux si l’un des notables accepte de prendre un selfie avec elle. Elle diffusera aussitôt le cliché auprès de ses innombrables amis sur les réseaux sociaux, parmi lesquels elle est fière de compter plusieurs autres personnalités aussi influentes. Lors de ces réunions protocolaires, elle tourne autour de ces hommes qu’elle juge importants comme un insecte autour d’une lampe un soir d’été, en suscitant leur attention et leur sympathie par ses mimiques avenantes, ses gestes gracieux, ses propos affables, ses rires complaisants. Sans être vraiment jolie, elle sait faire du charme auprès de ses interlocuteurs masculins dont elle s’applique à flatter l’ego, mais aussi auprès des femmes quand c’est nécessaire, en invoquant alors la solidarité qui doit les unir face aux prétentions du sexe opposé. Un homme important ne la connait pas ?!? Elle se fait un plaisir – en dégainant une de ses cartes de visite qu’elle distribue par dizaines à chaque occasion – de lui déballer ses états de service. Il ne la re-connait pas ?! Elle se fait un plaisir de lui rappeler tous les endroits où elle l’a rencontré sans que cela ne lui ait laissé, à lui, un souvenir marquant. Il la reconnait ! Il deviendra alors son « cher ami » à qui elle demandera des nouvelles comme s’ils étaient, depuis toujours et pour toujours, des intimes. Elle s’arrangera en tout cas, grâce à ses embrassades, à ses galanteries et autres effusions, pour que les témoins de leurs retrouvailles en soient convaincus. Il suffit qu’on évoque devant elle un quelconque projet pour qu’elle s’en réjouisse, félicite, promette son soutien indéfectible. Si c’est un problème ou une simple contrariété dont il est question, elle change aussitôt de registre pour adopter un air attendri, compréhensive, encourageant, et pour promettre son soutien indéfectible. En tout cas, s’il y a une décision à prendre ou un conflit à régler, elle est suffisamment habile pour ne pas déplaire, soit en étant d’accord avec tout le monde, soit en prenant le parti la dernière personne avec qui elle parle, quitte à se dédire ensuite. Elle raffole par ailleurs de prendre la parole en public ; elle réclame de pouvoir le faire dès qu’elle estime que c’est son droit. Une fois sur l’estrade, elle feint pourtant la modestie. Elle commence par dire que ce sont les autres qui ont insisté pour qu’elle s’exprime et qu’elle ne peut rien ajouter à l’éloquence des précédents orateurs, ce qui est effectivement le cas, mais il s’ensuit tout de même un long discours aussi creux qu’ampoulé qui ne témoigne que de son autosatisfaction. Elle a cependant une prédilection pour les tête-à-tête qui lui permettent de se montrer plus familière. C’est l’occasion de quelques confidences personnelles pour inspirer de la compassion (agenda épuisant, voyages compliqués, ennui de santé) ; de quelques médisances sur des collègues malveillants, incompétents et bien sûr médisants, afin de se rallier des partisans ; de quelques vanités en vue de glaner des compliments toujours stimulants concernant sa carrière qui, à l’entendre, se déroule mer-vei-lleu-se-ment bien : ses grands projets sont couronnés de succès, on la réclame partout pour profiter de ses incontestables qualités, elle est accablée de passionnantes propositions de la part d’éminents spécialistes. Il est vrai qu’elle s’agite beaucoup et qu’elle se donne de la peine pour trouver les moyens de courir le monde et de se faire inviter à des cérémonies ou à des colloques où on la prendra en photo. Elle peut ainsi allonger encore la liste de ses illustres contacts et se rappeler au bon souvenir de ses chers amis. De quoi contrebalancer la liste, qui a aussi tendance à s’allonger, d’autres personnes qui ne sont plus ses amis. Heureusement, ce ne sont pas des hommes importants (ce sont d’ailleurs plus souvent des femmes), mais seulement des collègues et des collaborateurs qui ne sont pas dupes du travail qu’elle prétend faire et qu’elle s’attribue compte tenu d’intérêts supérieurs : sa dévorante et inassouvible ambition. Elle ignore donc les personnes qui ne sont pas utiles à sa carrière, méprise celles qui ne tiennent pas à faire partie de son club de supporters comme les naïfs qui se fient aux apparences, mais qui apprendront à la connaître tôt ou tard. Comme on pouvait s’en douter, à faire ainsi des pieds et des mains, elle arrive finalement à ses fins. Elle reçoit la décoration dont elle se flatte à tout bout de champ, elle obtient un mandat d’une institution réputée, elle se fait élire à un poste honorifique. À cette dernière occasion, nous étions plusieurs à sourire quand elle a pris la parole pour remercier les personnes qui avaient voté pour elle, et qu’elle a commencé son discours par ces mots :

– C’est au nom de la dignité des femmes que j’ai posé ma candidature à ces prestigieuses responsabilités que vous avez bien voulu me confier…

[Merci pour votre avis : jmdefays@uliege.be]