18. On ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux

Je te l’avais bien dit, n’est-ce pas ?, que tu n’aurais pas dû épouser Étienne ? On pouvait voir comme le nez au milieu du visage que vous n’étiez pas assortis et que vous vous sépareriez tôt ou tard, même après 28 ans de vie commune et trois enfants. Quelle idée aussi d’avoir eu trois enfants ? À une pareille époque, avec autant d’occupations professionnelles ? Je t’avais prévenue des risques que tu prenais, après chaque naissance, tu t’en rappelles ? Les voilà sacrifiés, tes enfants ! Qu’ils soient tous adultes, diplômés et déjà au travail ne change rien à l’affaire. Tant mieux, si vous vous avez divorcé à l’amiable, mais c’est une démission tout de même, non ? Étienne aurait pu faire un effort, non ? Même si c’est toi qui as voulu le divorce, ce n’est pas une raison ! Quel dommage que tu n’aies pas suivi mes conseils à l’époque de plutôt t’intéresser à Jacques, qui était si épris de toi et qui ne t’aurait pas abandonnée, lui. Jacques aurait été prêt à tout pour te garder, lui ! Le pauvre, il n’a pas bien supporté que tu lui préfères Étienne dont tu t’es un peu trop vite entichée. Ah, l’amour, évidemment ! On ne sait même plus ce qu’il est devenu depuis lors, Jacques ? Ah si ! Tu avais appris que tout se passait bien pour lui, père de famille nombreuse, médecin passionné par son boulot. Enfin, c’est ce qu’il t’a dit pour ne pas perdre la face, bien sûr ! Comment peut-on se contenter d’être un petit généraliste dans un village en Province, à soigner des grippes et des piqures d’insectes, probablement !? Je sais, toi aussi tu es généraliste. Je m’en suis d’ailleurs toujours étonnée car tu mérites tellement mieux ! Combien de fois ne t’ai-je pas encouragée à faire une spécialité au lieu de te mettre aussitôt à travailler dès que tu as obtenu ton diplôme. Deux ou trois année d’études en plus, ce n’était pas insurmontable ! Ta vie aurait été bien plus facile, tu ne crois pas ? Ça ne t’intéressait pas, ça ne t’intéressait pas,… oui, mais n’était-ce pas un peu secondaire à comparer aux avantages ? Moi, je disais ça pour toi, bien sûr, c’était ton choix ! Tu n’avais de toute façon pas le choix, me répondais-tu. Il y a pourtant toujours moyen de se débrouiller, quand on veut. Au départ, tu n’aurais peut-être pas dû quitter tes parents aussi tôt, comme j’ai essayé de t’en dissuader, si tu te souviens bien ! Je sais, c’est grisant de devenir indépendante, mais cela a un coût aussi, je te l’avais annoncé : se loger, se nourrir, puis sortir avec les copains. À ce propos, on ne peut pas dire que tu te sois privée, hein ! Les cinémas, les restaurants, les virées avec les autres étudiants, c’était devenu une habitude. Ça ne me rassurait pas du tout, la vie que tu menais à l’époque; je me suis beaucoup inquiétée pour ton avenir, tu sais, même si je ne t’en ai jamais parlé car cela ne me regardait pas ! Bien sûr me suis-je permise quelques remarques de temps à autre, pour te rappeler tes responsabilités. Heureusement d’ailleurs, car il me semble que tu allais droit dans le mur sans cela. Soit dit en passant, je n’ai pas reçu beaucoup de reconnaissance de ta part à ce propos. Mais ce n’est pas grave, le plus important est que tu aies finalement réussi et de savoir que j’y ai ainsi un peu contribué grâce à mes mises en garde. Et aussi parce que tu es douée et travailleuse, cela va s’en dire, mais les bons conseils n’ont jamais fait de tort à personne, pourvu qu’on les suive. Bref, revenons au présent, ça ne sert à rien de se lamenter sur le passé. Ce qui est fait est fait, pas moyen de revenir en arrière. Tout cela est bien triste, mais il faut se faire une raison, n’est-ce pas ? Nous allons trouver le moyen de te tirer d’affaire, tu peux me faire confiance, je t’assure. Non, je ne pense pas que tout aille bien pour toi et que tu n’aies besoin de personne, comme tu le prétends. Tu ne dois pas me cacher ton désarroi, surtout pas à moi, ta meilleure amie, cela me fait tellement plaisir ! Tellement plaisir de t’aider, veux-je dire ! Je suis comme toujours à ta disposition pour en parler ; tu pourras ainsi te soulager et moi t’apporter mon réconfort et quelques autres bons conseils. Je regrette d’ailleurs que tu ne te sois davantage fiée à moi toutes ces années, que tu n’aies jamais répondu à mes courriers et que tu n’aies jamais été disponible quand je te téléphonais pour te proposer une rencontre entre copines. En fait, nous ne nous serions pas rencontrées par hasard dans la rue, je n’aurais pas eu de tes nouvelles ! D’accord, tu me rappelles dès que possible ! Tu n’oublies pas cette fois ! À bientôt, alors !